C’est un spectacle unique et émouvant qui se produit chaque année de février à septembre. Les tortues marines de Guyane, vertes, luths et olivâtres, sortent alors de l’océan après des mois de migration, pour venir pondre sur les plages et donner naissance à la descendance. Cet évènement, semé d’embûches tout autant naturelles qu’anthropiques, devient malheureusement de plus en plus rare sur nos côtes.
La tortue luth de Guyane est connue pour être la plus grosse des tortues marines. Elle n’en est pas moins fragile. Qui es-tu « Toti » ? D’où viens-tu et quel est ton destin ? Je partage, dans cet article, mon expérience après une saison d’observation et de veille sur les plages guyanaises.
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Tortue Luth de Guyane
de la rencontre à la préservation
Tortue Luth de Guyane, la rencontre
Ma première rencontre en Guyane avec « Toti twir » (nom créole guyanais donné à la tortue luth) était attendue, mais néanmoins saisissante. Pour t’avoir déjà observée avec mes yeux d’enfants sur les plages de Malaisie, je savais à quoi m’attendre : une géante à la carapace étrange et aux yeux remplis de larmes, occupée à déposer ses œufs profondément dans le sable ! Notre rencontre sur la plage de Cayenne se produisit au milieu de la nuit. Ce ne sont ni tes yeux ni ta dossière qui révélèrent ta présence, mais un soufflement sortant des haricots plage, long et fort, qui me fit sursauter.
Quelques secondes suffirent pour que mes yeux s’adaptent à l’obscurité et tombent sous ton charme… quelques heures à tes côtés ne furent pas assez pour assouvir ma curiosité et mon émerveillement.
Pour apprendre à te connaître et à te protéger, j’ai rejoint les équipes de bénévoles de l’association Kwata, qui veille sur toi depuis plus de 20 ans. De février à octobre, j’ai arpenté les plages à la tombée de la nuit et à l’aube pour t’observer et apprendre aux autres à le faire avec respect. Parce que ta taille imposante et ton endurance à toute épreuve ne suffisent pas à te rendre invulnérable, bien au contraire. Tu es fragile, d’autant plus lorsque tu sors de l’océan après des mois de migration pour faire perdurer, avec bravoure et détermination, ton espèce. Sais-tu alors qu’un seul bébé sur 1000 atteindra l’âge adulte ?
Comment agir ? Comment faire en sorte que cette rencontre ne soit pas la dernière ? Tu préfères la discrétion ? Il est déjà trop tard. Tu es devenue une star sans le vouloir. Pour te préserver, il faut désormais apprendre à mieux te connaitre, avec l’espoir de susciter Amour et Respect.
Tortue Luth de Guyane, qui es-tu ?
Digne représentante de l’espèce « Dermochelys coriacea », mieux connue sous le nom de tortue luth, tu as choisi les plages de Guyane pour venir pondre. Tu n’es pas la seule ! Nos plages sont également convoitées par « Toti-lanmè » (tortue verte) et« Totiyon » (tortue olivâtre), moins impressionnantes que toi par la taille mais tout aussi passionnantes à observer.
Ce sont en réalité tes ancêtres qui ont choisi les plages de Remire-Montjoly, d’Awala et de Yalimapo comme terre de reproduction. Toi, tu es revenue pondre, après plusieurs années d’errance au gré des courants et des sources d’alimentation (méduses) sur la plage qui t’a vu naître… ou pas très loin. Ton prodigieux sens de l’orientation, utilisant notamment le champ magnétique terrestre et les signaux chimiques uniques de ta plage, reste pour nous en grande partie un mystère.
De tes partenaires mâles, qui ne regagnent jamais la terre, nous savons bien peu de choses. Votre accouplement est discret, probablement au large des plages de ponte. Un seul rapport te permet d’effectuer dans une même saison plusieurs pontes, espacées d’une dizaine de jours (de 2 à 7 en fonction des individus), grâce à une spermathèque et des oviductes séparés, permettant une croissance décalée des œufs. Alors que les mâles finissent par regagner les zones d’alimentation lointaines, tu resteras plusieurs mois au large de « ta » plage, alternant séjour en mer et montées à terre pour y déposer tes œufs. Une fois la saison de pontes terminée, tu entameras à ton tour une longue migration vers le Nord pour regagner les zones d’alimentation… avant de revenir nous rendre visite (je l’espère de tout cœur) dans quelques années.
Suivez EN DIRECT la migration de 12 tortues luth de Guyane,
équipées de balises Argos par l’IPHC-CNRS et Greenpeace.
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Tortue Luth de Guyane, l’observation des pontes
En mer, tu es la reine et tu ne te laisses pas facilement repérer. C’est donc sur les plages que tu nous offres, malgré toi, le plus fascinant des spectacles. Plus lente que tes cousines verte et olivâtre, tu ne passes pas moins de 2 heures sur le sable à chaque ponte, effectuant un processus de nidification immuable constitué de 6 phases : arrêt et balayage, creusement du nid, ponte, comblement du nid, brouillage de l’aire de ponte et départ vers l’océan.
Une à deux heures avant la marée haute, si tu n’as pas été retardée en chemin par quelques objets dérivants ou un banc de vase typique de notre territoire, tu accostes et rejoins en quelques minutes ton aire de ponte. Le premier balayage a pour objectif d’éliminer les débris gênants, à moins que ce ne soit pour délimiter l’emplacement. Le creusement est ensuite réalisé par des gestes précis des membres postérieurs jusqu’à une profondeur moyenne de 70 cm, la chambre d’incubation occupant près de la moitié de la profondeur totale. Tu y déposes alors une centaine d’œuf ronds et blancs. La moitié seulement de ces œufs est fertile. Les autres serviront à combler les interstices, assurer une bonne oxygénation et hygrométrie du nid et le protéger des prédateurs. C’est du moins les hypothèses que nous faisons…
Après avoir rebouché le nid et avant de regagner l’océan, tu assures le show par un étrange ballet, consistant à brouiller l’aire de ponte en raclant violemment le sol de tes membres antérieurs et postérieurs, changeant plusieurs fois de direction, jusqu’à ce qu’il devienne impossible de localiser l’endroit exact du nid. Mission accomplie, tu regagnes enfin l’océan, épuisée, ne laissant sur la plage que de larges traces de nageoires reliées à une aire circulaire poudreuse témoignant de ton passage.
Dans 2 mois, tes bébés devraient pointer le bout de leur nez et tenter de regagner à leur tour l’océan. Ils ne pèseront alors que quelques grammes, bien loin de tes 400 kilos, si lourds à porter hors de l’eau !
2 VIDEOS à retrouver sur ma chaîne Youtube
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Le retour de Toti (saison 2021)
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Premiers pas de « Toti » vers l’océan.
Tortues Marines de Guyane, les observer avec respect
Les tortues marines sont vulnérables lorsqu’elles montent sur les plages. Pour ne pas les effrayer et les voir rebrousser chemin sans avoir accompli leur mission, il faut se faire le plus discret possible. La lumière et les vibrations les gênent particulièrement. Leur trajectoire doit toujours être dégagée pour ne pas les contraindre à slalomer sur la plage alors qu’elles effectuent déjà l’acte le plus éprouvant de leur vie.
Tortue Luth de Guyane, quel est ton destin ?
Afin de te préserver, nous t’avons classé comme vulnérable sur la liste rouge des espèces menacées publiée par l’Union Internationale de Conservation de la Nature.
Les menaces naturelles et anthropiques qui pèsent sur toi sont en effet nombreuses : érosion ou envasement des plages, prédateurs terrestres s’attaquant au nid et aux bébés (crabes, oiseaux, courtilières mais aussi chiens errants…), pollution lumineuse, pollution du sable, braconnage, prédateurs en mer (poissons, requins, orques), collisions mortelles, filets de pêche, déchets flottants, fuites d’hydrocarbures…
Le réchauffement climatique te cause également bien du souci. Il engendre une féminisation de ton espèce, le sexe de tes bébés dépendant de la température du nid (au-dessus de 29°C, ce seront majoritairement des filles). Il perturbe également ta migration en affaiblissant les courants marins, t’obligeant à parcourir de plus longues distances pour trouver ton alimentation. Jusque quand, alors, te restera-t-il assez d’énergie pour venir pondre sur les plages et assurer ta descendance ?
En Guyane, les chiffres sont sans appel. Le nombre de pontes de tortues luths, comme celle des autres espèces, est en nette baisse depuis plusieurs années, passant de plus de 6000 pontes au cours de la saison 2010, à 3000 en 2016, puis à 163 en 2020 !
Cliquez sur l’image ci-dessous pour le savoir !
Certains s’alarment sur notre incapacité à te retenir et à te préserver, d’autres se rassurent en rappelant que cette baisse peut être le résultat d’une dynamique naturelle et cyclique, ne signant nullement ton départ définitif… j’oscille entre les deux !
Mais en aucun cas, nous ne perdons espoir « Toti ». Nous t’aimons trop pour baisser les bras. Le Réseau des Tortues Marines de Guyane œuvre avec patience à ta préservation, en mettant en place des techniques et démarches permettant de réduire les captures accidentelles en mer, en améliorant les connaissances pour définir les leviers d’action les plus efficaces, en éduquant la population à la préservation de ton, ou plutôt de notre, environnement.
Quant à moi, je serai présente sur les plages de Guyane la saison prochaine, puis la saison suivante, jusqu’à ce que tu reviennes. Je veillerai sur toi à ma façon, en éduquant, en partageant et en tentant de semer des graines d’amour pour toi dans le cœur de chacun.
2 min VIDEO à retrouver sur ma chaîne Youtube :
Défi des Timouns Plage Propre
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11 réponses
J’espère que le braconnage n’est pas la seule raison qui explique la forte diminution des pontes. Quand on voit ce qu’il se passe à Mayotte avec le massacre de dizaines de tortues chaque mois, on se demande comment il est possible de tuer de si belles créatures. Pourvu que l’on réagisse avant que tout cela ne disparaisse un jour !
Laura Articles récents…5 Bonnes Raisons d’Utiliser des Culottes Périodiques
Bonjour Laura,
Il y a malheureusement bien d’autres menaces que le braconnage pour expliquer la disparition des tortues sur les côtes (voir vidéo Kwata en fin d’article). La présence de bénévoles sur les plages, sensibilisant à la préservation des tortues, a permis de diminuer ce risque en Guyane et les œufs sont désormais davantage malmenés par les chiens errants que les hommes !
Quels espèces de tortues marines migrent ou pondent à Mayotte ? Des actions de préservation y sont-elles menées ?
Merci.
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Salut, le pb surtout c’est que les tortues naturellement mettent bas dans des endroits assez différents, difficilement prévisibles et que de base enterrer ses œufs dans le sable pour que les bébés fasse le chemin jusqu’à la mer n’est pas safe du tout. Mais c’est la nature.
MORGAN Articles récents…Le sous vide super écologique.
Peut-être plus très « safe » aujourd’hui mais souvenons-nous que les tortues marines sont sur la Terre depuis des siècles !
Vos vidéos et textes sont très émouvants. Merci pour votre sensibilisation à ces tortues et à leur protection sur les côtes guyanaises. J’espère pouvoir en voir, avec vous peut-être, lors de mon prochain voyage, l’été prochain.
Vous en verrez très certainement sur les plages de Remire-Montjoly !
A bientôt 😉
Un spectacle magnifique et si fragile. Les chiffres sont terrifiants, mais il faut garder espoir.
rincevent Articles récents…Jonathan la tortue, plus vieil animal terrestre du monde a fêté ses 190 ans
Bonjour Céline,
J’aimerai séjourner en Guyane l’an prochain (2024) pour voir mon fils qui vit là-bas depuis plus de 10 ans mais aussi pour assister respectueusement à la naissance des tortues qui regagnent l’océan.
Quelles dates me conseillez-vous afin d’en voir le plus grand nombre et de ne les déranger qu’une seule fois.
Merci d’avance pour votre réponse et bonne continuation à vous.
Bonjour,
Pour observer les pontes de tortues luths et olivâtres, les mois de mai et juin sont les plus propices. Pour les émergences de tortillons, plutôt juillet-août. Donc, si vous voulez pouvoir observer pontes et émergences, privilégiez le mois de juillet.